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Ewilan et CIE

Livre 1 : D'un monde à l'autre, chapitre 1 : Ewilan. 2

Rédigé par Arthur Petit

- Camille, Camille, oh Camille, tu es sourde ?

La voix perça le labyrinthe de pensées dans lequel elle tournait en rond, et Camille leva les yeux. Son interlocuteur était un garçon de son âge et de sa taille.

il portait une magnifique coiffure de petites tresses, chacune d'elles décorée d'une perle, qui encadrait un visage rond à la peau noire, fendu d'un immense sourire.

- Tu as oublié de te lever ce matin ? On ne t'a pa vue en classe aujourd'hui.

- Salim...

- Qu'est-ce que tu as, ma vieille ? Encore un problème avec tes parents ?

- Salim, je crois que je viens de passer dans un mode parallèle.

Le jeune garçon la regarda avec des yeux ébahis, plissa le nez, se gratta une joue. Un léger tic déforma sa bouche puis, soudain, il éclata de rire. Un rire énorme et irrépressible. Il lui fallut plusieurs minutes pour reprendre son souffle et il n'y parvint qu'à grand-peine.

- Salim, je ne plaisante pas, je suis vraiment passée dans un monde parallèle.

- Ne t'en fais pas, lança le garçon en se retenant de justesse d'exploser à nouveau, ce sont des choses qui arrivent. Mon frère utilise souvent ce stratagème pour échapper aux Martiens qui le poursuivent.

- Salim, je suis sérieuse ! Tu n'as pas de frère, et... bon sang ! Ca s'est passé pour de bon !

- Pas de soucis, ma vieille, je te crois. Je suis convaincu depuis longtemps que tu ne vis pas dans le même monde que nous !

- Salim, arrête !

- D'accord j'arrête, mais dis-moi d'abord combien font trois cent cinquante-sept fois six cent vingt-neuf.

- Deux cent vingt-quatre mille cent cinquante-trois, pourquoi ?

- Pour rien. Quelle est la capitale du Burkina Faso ?

- Ouagadougou, mais qu'est-ce que...

- T'occupe, qui a inventé le téléphone ?

- Graham Bell en 1876.

- Et un téléphone, c'était quoi au juste, à cette époque ?

- C'était au départ un transmetteur relié par un circuit électrique à pie au récepteur placé un peu plus loin. Le pavillon acoustique de l'émetteur était muni d'une membrane qui portait en son centre un disque de fer disposé devant un électroaimant. Le récepteur possédait une membrane identique, posée sur un électroaimant cylindrique et...

- Stop, merci ! Je voulais juste être sûr que tu n'étais pas devenue folle.

Camille croisa les bras en regardant son ami dans les yeux. Elle sentait toujour la pierre au creux de sa main, mais elle n'avait plus envie de la montrer, pas même à Salim. Elle la fit tourner une dernière fois entre ses doigts et la laissa tomber au fond de la poche de son jean.

- Ca roule, Salim... Maintenant que tu es rassuré, on se paye une glace ?

- D'acc ma vieille, c'est une idée d'enfer !

- Salim, je ne suis pas ta vieille, j'ai quatre mille neuf cents jours c'est-à-dire exactement quatre mois et dix-huit jours de moins que toi, si je te fait cadeau des heures. Cela dit, pour être vraiment honnête, je ne garantis pas le résultat à cent pour cent, tu sais très bien que je ne suis pas certaine de ma date de naissance.

- Mais...

- Mais quoi qu'il en soit, même si je met en doute, et je le fais volontiers, ce qu'affirment mes parents, je suis absolument certaine de ne pas avoir plus de quatorze ans. Compris ?

- Je me disais aussi que, pour une vieille, t'es pas mal...

Ils continuèrent à se chamailler en s'éloignant le long du fleuve qui miroitait sous le soleil de mai et atteignirent le parc où ils étaient sûrs de trouver leur marchand de glaces favori.

Derrière eux, sur l'avenue paralysée, les conducteurs commençaient à descendre de leur véhicule. L'attroupement grossissait autour du chauffeur qui refusait catégoriquement de remonter à bord de son camion.

- Je vous dis qu'il y avait une fille sur la chausée, là, juste devant moi ! hurlait-il. Et elle a disparu tout d'un coup !

Mais Camille et Salim étaient déjà loin.

¤

Un peu plus tard, ils se perchèrent sur le dossier d'un banc en bois. Salim tenait une énorme glace à la fraise dans une main, tandis qu'une balle multicolore virevoltait dans l'autre.

- Tout de même, s'exclama-t-il, je te trouve gonflée d'être allée à la bibliothèque plutôt qu'en cours !

- Ne t'en fais pas Salim, j'ai calculé mon coups !

- Tu n'as pas peur que tes parents s'aperçoivent que tu as séché ?

- D'abord ce ne sont pas mes parents et, honnêttement, à partir du moment où je rapporte de bons bulletins et que je me tiens bien à table, ils se fichent complètement de ce que je fais. Et puis, rassure-toi, c'était exceptionnel.

Camille mordit un bon coup dans son cornet à la vanille. Le froid que l'émail de ses dents la fit grimacer, mais c'était comme ça qu'elle aimait les glaces et non pas en les suçotant du bout de la langue.

Salim venait de finir la sienne. Il descendit du banc et se campa face à Camille. Il sortit deux balles supplémentaires de son blouson et commença à jongler, à deux mains d'abord puis avec une seule.

- Tu as vu, Ewilan, la classe non ? lança-t-il. Le soir, je m'entraîne avec quatre balles, bientôt je te montrerai ça !

- Comment tu m'as appelée ?

Surpris par le ton de sa voix, Salim laissa tomber ses balles.

- Cool, ma vieille, j'ai sorti ça comme ça, se justifia-t-il en souriant, pas la peine d'en faire un fromage.

- Je veux juste que tu répètes ce que tu viens de dire, Salim, ordonna Camille d'un ton tranchant. Tu dois être capable de te souvenir d'un mot que tu viens de prononcer, non ?

Salim la regarda avec de grands yeux ronds. Elle ne plaisantait pas et la scène offrait un contraste saisissant avec le caractère posé et enjoué qui était habituellement le sien.

- Ewilan, je t'ai appelée Ewilan. J'ai sans doute piqué ça dans un film ou dans une BD, mais si ça te fait cet effet-là, c'est sûr que je ne recommencerai pas !

Camille l'observa quelques secondes. Les paroles menaçantes du monstre résonnaient encore à ses oreilles. Il l'avait appelée ainsi... Ewilan ! Pourquoi Salim avait-il employé ce nom, juste après qu'il avait été prononcé par cette créature ? Camille se passa la main dans les cheveux.

- Excuse-moi, je me suis un peu énervée, je ne sais pas ce qui m'a pris...

Salim faillit hasarder une plaisanterie, mais devant la mine déconfite de son amie il renonça.

- Je crois qu'il vaudrait mieux que je rentre,ajouta Camille. Je n'ai pas envie de me prendre un savon en arrivant en retard...

Les deux amis se dirigèrent vers le portillon donnant sur l'avenue. Assis sur le dossier d'un banc, cinq adolescents les toisèrent alors qu'ils passaient devant eux.

- Oh le nègre, c'est quoi cette coiffure de fille ?

Celui qui avait parlé était un grand échalas, vêtu d'un pantalon trop large de trois tailles et d'un tee-shirt informe.

Les autres éclatèrent d'un rire mauvais.

Salim les ignora, alors que Camille, outrée, ralentissait.

Son ami la prit par le bras pour l'inciter à avancer plus vite. Elle résista.

- T'as peur qu'on te bouffe ta copine, le nègre ?

Camille ouvrit la bouche pour répliquer, mais Salim l'entraîna.

- Viens, murmura-t-il, ça ne sert à rien de discuter.

- Mais...

- Viens je te dis.

Derrière eux, les insultes continuèrent à fuser. Camille enfouit les mains dans ses poches.

- quelle bande de débiles pollués du bulbe ! Lança-t-elle, pourquoi tu n'a pas voulu que je leur rabatte le caquet ?

- Parce qu'ils n'attendaient que ça, qu'ils étaient plus gros et plus nombreux que nous et aussi parce que j'ai l'habitude de ce genre de bêtises, rétorqua Salim en haussant les épaules.

Il s'était exprimé sur un ton tranquille, pourtant Camille sentit qu'il était blessé et con impuissance la fit grincer des dents. Quand ils se retrouvèrent sur le large trottoir bordant l'avenue, elle se retourna vers le parc.

A une vingtaine de mètres d'eux, les cinq garçons, toujours assis sur le banc, lui adressèrent une série de gestes vulgaires.

Camille serra les poings. Elle détestait la bêtise surtout lorsque, comme c'est souvent le cas, elle se teintait de méchanceté et de mesquinerie. Elle ferma les yeux, imaginant les cinq imbéciles tombant du banc et se couvrant de ridicule.

Elle avait souvent recours à ce procédé quand elle était exaspérée. De nombreux profs s'étaient ainsi, à leur insu, retrouvés placés dans des situations loufoques ou embarrassantes au gré de ses coups de colère.

Elle imaginait une multitude de petits détails qui la faisait jubiler et peignait un tableau intérieur d'une rare précision qui la libérait et lui permettait de retrouver rapidement le sourire.

Cette fois-ci, elle se surpassa. L'image mentale qu'elle dressa était d'une telle véracité qu'elle faillit éclater de rire.

A côté d'elle, Salim sursauta. Camille ouvrit les yeux.

Le banc où se tenaient les cinq garçons venait de basculer, les projetant sur l'herbe dans un délicieux enchevêtrement de jambes et de bras.

- Il y a une justice dans ce monde, jubila Salim, tu as vu ce tas de nouilles ?

Camille ne répondit pas. Elle était vaguement inquiète, comme si la situation recélait un danger potentiel...

- C'est vraiment génial, continua Salim. On dirait cinq grosses bouses de vache !

Camille sourit. La joie de son ami était contagieuse. Elle lui tapota cependant l'épaule.

- C'est bon Salim, on y va maintenant. Ils ne vont pas se rouler par terre toute la soirée, juste pour te faire rigoler !

En effet, les garçons se relevaient lentement, l'air d'avantage meurtri qu'ils n'auraient dû l'être après une chute somme toute bénigne. Deux d'entre eux boitaient tandis qu'un troisième se tenait les côtes en grimaçant.

Camille et Salim se séparèrent un peu plus loin. Salim traversa le fleuve pour rejoindre sa cité. Camille, elle, se dirigea à grands pas vers la tour romaine.

Elle la dépassa au moment où la grosse horloge, à son sommet, sonnait six coups.

Elle savait très bien que ses parents attendaient qu'elle respecte à la lettre les rares consignes qu'ils lui donnaient, en l'occurence être toujours rentrée avant dix-huit heures. Le châtiment qu'elle encourait en dépassant l'horaire variait en fonction du nombre de minutes de retard. Un quart d'heure n'impliquerait qu'un petit sermon qui, par avance, la laissait indifférente.

Elle était, par contre, beaucoup plus troublée par ce qu'elle venait de vivre. La scène à laquelle elle avait assisté était strictement identique à celle qu'elle avait imaginée et cette similitude ne pouvait être fortuite.

De là à penser qu'elle était responsable du basculement du banc, il n'y avait qu'un pas qu'elle se refusa à franchir.

- Tout doux ma grande, se morigéna-t-elle, tu n'as pas de diplôme de sorcière, que je sache, et la télékinésie n'a pas encore été inventée. Garde les pieds sur terre !

Elle avait prononcé cette dernière phrase à haute voix, signe qu'elle était vraiment troublée. Aucune importance, elle était seule dans la rue.

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